75e anniversaire de l’ordination épiscopale du Fondateur
Toute sa vie, Mgr Melchior de Marion Brésillac était sûr d’une chose : il voulait être missionnaire ; et il était prêt à tout donner pour réaliser cette vocation. Il voulait « aller » éclairer les abandonnés de la foi de la lumière de l’Évangile, implanter l’Église avec un clergé local bien formé qui puisse prendre le relai, et continuer ailleurs. Il n’imaginait pas devenir un jour évêque. À 32 ans, pendant qu’il était totalement impliqué à Pondichéry dans l’éducation des futurs clercs, l’un des objectifs de la mission qui lui tenait à cœur, il est nommé évêque titulaire de Pruse et provicaire apostolique de Coimbatore par le Pape Grégoire XVI, le mardi 6 mai 1845.
Quelques jours plus tard, le 30 juin 1845, Mgr Melchior de Marion Brésillac est informé de sa nomination et le 26 septembre 1845, il écrit à Rome pour renoncer à l’épiscopat.
Vu l’instance de Rome il finit par accepter la charge épiscopale, comme il le disait, pour la gloire de Dieu et le salut de la chrétienté qui leur est confiée. Dans son journal, il écrit : « Oui, Seigneur, je m'humilie en votre présence, vous devant qui les anges ne sont point sans quelques imperfections. Je m'humilie, et je crains le jour de votre rigoureuse justice, et cependant j'espère en votre infinie miséricorde. Car il me semble que l'épiscopat, comme toute autre chose dans ma carrière apostolique, je l'acceptai surtout, quoiqu’avec bien des imperfections naturelles, pour votre plus grande gloire, et pour le plus grand bien de nos chères missions »[1]. Il sera sacré le dimanche 4 octobre 1846, plus d’un an après sa nomination.
Avant de quitter de Pondichéry pour sa nouvelle mission, Mgr Melchior de Marion Brésillac, comme il avait l’habitude de le faire avant chaque grand moment ou étape importante de sa vie, décide de faire une retraite spirituelle qu’il appelle « retraite préparatoire » en vue de son sacre : « Je me retirai pour cela au village d'Ariancoupam, auprès de la charmante et pieuse église de l'Arokia-Mada, où j'essayai, ô mon Dieu, de me mettre en communication par la prière avec votre Esprit ». Ce temps de retraite était pour lui un moment privilégié qui lui permit non seulement de se préparer à sa nouvelle charge et sa nouvelle mission, mais surtout de renouveler sa consécration à l’œuvre de Dieu. À la fin de sa retraite, il fait le point dans son journal :
« Me voilà donc, Seigneur, comme au moment de recevoir l'imposition des mains et la consécration des pontifes. Je vous ai fait l'offrande de moi-même, daignerez-vous l'accepter, ô mon Dieu ? Autant que la faible prévision des hommes peut annoncer quelque chose à l'avance, l'époque de cette auguste cérémonie est fixée au 4 octobre ; daignez répandre votre bénédiction d'avance, ô mon Dieu, sur cet acte solennel et à jamais redoutable. J'aurais voulu plus de calme et de paix intérieure pendant cette retraite qui vient de finir. Plus d'un regret est venu traverser, dans mon esprit, mes résolutions pour le salut du pauvre peuple qui m'est confié, pour le bien-être et l'avancement de nos missions de l'Inde, et en particulier pour celle de Coimbatore, que j'épouse dans ce moment pour lui rester à jamais fidèle. Oui, Seigneur, quoique portant le titre d'une Église étrangère, et n'ayant sur la mission qu'une juridiction déléguée, je me considérerai, pour tout ce qui est de mes obligations personnelles, comme étant le véritable pasteur de ce peuple sans pasteur »[2].
Comme il l’a fait à la fin de sa retraite avant de partir en mission en Inde, Mgr Melchior de Marion Brésillac prend certaines résolutions pour sa nouvelle mission et sa charge d’évêque. Ces résolutions sont en fait le prolongement de ce qu’il s’était déjà fixé comme objectifs quand il était devenu missionnaire MEP. Ces résolutions qui sont le programme de toute une vie de prêtre, missionnaire, évêque et disciple du Christ traduisent la volonté et le désir de Mgr Melchior de Marion Brésillac de devenir davantage un saint missionnaire toujours à l’œuvre et son amour pour l’Église du Christ. Ces résolutions, les voici[3] :
« Consacrer plus spécialement et plus efficacement que je ne l'ai fait jusqu'ici tout mon temps, toutes mes facultés, tout mon être à la gloire de Dieu, à la propagation de l'Évangile, à l'extension et à l'exaltation de la sainte Église catholique, apostolique et romaine dans le sein de laquelle je veux vivre, agir et mourir.
Ne rien désirer, ne rien dire, ne rien écrire, qui n'ait pour but plus ou moins immédiat, cette unique fin de toutes mes actions et de toutes mes pensées.
Marcher le plus vite possible et le plus directement possible vers le but que la sainte Église s'est proposé en envoyant des évêques étrangers comme missionnaires dans ces pays. Si les simples missionnaires, quand ils se rendent dignes de leur vocation, méritent le titre d'apostoliques, les évêques doivent se conduire de manière à participer un jour à l'auréole des Apôtres. "Non enim misit me Christus baptizare, sed evangelizare."[4]
Je me représenterai donc souvent le Saint-Père, qui est le successeur direct des Apôtres, comme m'adressant cette parole de saint Paul à l'évêque Tite, son disciple : "Hujus rei gratia reliqui te Cretae, ut ea quae desunt corrigas, et constituas per civitates presbyteros, sicut et ego disposui tibi"[5]. Poursuivre cette œuvre avec une invincible constance, sans me lasser ni décourager, ni abattre, par les obstacles quels qu'ils puissent être, espérant contre l'espérance en la miséricorde de Dieu sur ces peuples.
Dans mes rapports, avec les Indiens aussi bien qu'avec les missionnaires, employer toujours la douceur de préférence à la force, sans faiblesse néanmoins, et sans me départir de l'énergie que le Seigneur a mise dans mon caractère, pour soutenir tout ce qui est de principe chrétien et catholique, selon mes convictions acquises en la présence de Dieu, et dans la méditation de l'Évangile.
D'ailleurs et toujours me méfier de mes propres forces et de mes propres lumières, soumettant avec une pleine confiance en Dieu le succès de mes entreprises à la divine Providence, sous la direction du Saint- Siège et, dans le doute, selon ses décisions, ne laissant rien ignorer à Rome de ce qui se passe dans l'Inde, et toujours prêt à soumettre mon jugement au jugement du pontife, le vicaire infaillible de Jésus sur la terre.
Enfin, j'adresserai souvent à Dieu la prière qui a fait jusqu'ici ma force et ma consolation, de faire réussir mes entreprises et de faire triompher mes opinions, si elles sont réellement dans le vrai, et pour la plus grande gloire de notre bon Maître. Au contraire, de les faire échouer si elles ne sont point conformes aux vues de son éternelle sagesse. "Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam"[6].
Après Dieu, je mettrai toute ma confiance en la sainte Vierge Marie, ma mère et ma patronne, me confirmant, pour mériter sa protection, dans la pratique de réciter son petit office une fois chaque semaine et, après elle, aux saints anges, et particulièrement à l'archange saint Michel, à mon ange gardien et à ceux à qui Dieu a confié le soin de ces contrées. J'invoquerai spécialement les saints qui se sont sanctifiés dans les missions, notamment l'Apôtre saint Thomas et saint François Xavier.
Puisse le ciel bénir ces résolutions, en attendant que je puisse les détailler davantage. Amen ».
Mgr Melchior de Marion Brésillac avait demandé à son évêque, Mgr de Drusipare de Pondichéry de présider à la célébration de son sacre. Après sa retraite, il part de Pondichéry avec son évêque et consécrateur principale, Mgr de Drusipare, le 19 septembre 1846 pour Carumattampatty, qui était la principale chrétienté de la province de Coimbatore.
Les dispositions de l’Église demandent qu’il y ait au moins trois évêques pour la célébration de l’ordination épiscopale. Puisqu’il n’y avait pas assez d’évêques à cette époque dans les missions, le Saint-Siège avait donné la faculté de procéder au sacre des évêques sans évêques assistants. Melchior de Marion Brésillac, quant à lui, tenait à se faire ordonner évêque selon le droit, dans la mesure du possible. Il disait : « il me semble encore, qu'il est convenable de n'user que très sobrement de ce privilège. Les privilèges sont quelquefois très utiles, mais souvent l'abus qu'on en fait est fort voisin de l'usage légitime, au grand préjudice de la discipline ecclésiastique, si admirable de beauté et si féconde en fruits de salut, quand on n'en énerve pas le caractère »[7]. Pour lui, c’est un honneur et un privilège d’avoir autant d’évêques pour son sacre et comme il le disait, c’est aussi un moyen d’évangélisation dans cette contrée qui lui avait été confiée. Pour assister Mgr de Drusipare, il invita Mgr l'archevêque de Chyrra, vicaire apostolique de Verapoly, et Mgr de Jassen, provicaire apostolique du Mysore, à faire les fonctions d'évêques assistants[8]. « On verra que mon sacre eut lieu selon toutes les règles de la sainte Eglise, au grand contentement de tous les invités et non, sans doute, sans quelque édification pour un peuple qui tenait, non sans quelque raison, aux prêtres de Goa, malheureusement alors inclinant vers un schisme ruineux, que ce pauvre peuple n'est guère capable de comprendre »[9].
Malgré la simplicité et la pauvreté de cette chrétienté, Mgr Melchior de Marion Brésillac était tout heureux que la célébration de son sacre soit une lumière dans les ténèbres pour son peuple. « Dans un désert, sous le toit d'une misérable église qui mérite à peine ce nom, sans autre habitation pour les prélats qu'une maisonnette à trois petites chambres de douze pieds en carré et, pour les prêtres, que des "cottai", c'est-à-dire des lignes formées de pieux et recouvertes de feuilles de palmier, sans autre couche que la terre saupoudrée de sable, sur laquelle on posera le soir une natte et un coussin. Là, aura bientôt lieu une des plus belles cérémonies qui se soient vues dans l'Inde, car il est peut-être inouï qu'on ait vu dans l'Inde un sacre d'évêque fait par trois autres évêques. Je tenais à donner cet exemple, ô mon Dieu, pour que de plus en plus on se rapproche dans ce malheureux pays des règles générales de votre sainte Eglise, qu'il est, je crois, si funeste de négliger sous le futile prétexte de quelques difficultés. O Dieu, puisse-t-elle être, cette cérémonie, l'heureux présage que, du moindre de vos serviteurs, vous ferez un instrument de votre grâce miséricordieuse ! Puisse cette réunion d'évêques n'être que le prélude des réunions synodales, que nous espérons voir dans un avenir prochain, et qui me paraissent indispensables pour faire fructifier le souffle de vie, que votre pontife a dirigé sur l'Eglise de l'Inde, et que les derniers événements attiédissent déjà, tandis qu'il est besoin de toute notre industrie pour lui conserver sa féconde chaleur. Que tout soit pour votre plus grande gloire, ô mon Dieu, et pour le plus grand bien des Indiens au service desquels je désire vivre et mourir. »[10]
Le dimanche 4 octobre, en la fête du Saint-Rosaire, Mgr Melchior de Marion Brésillac fut ordonné évêque. Il était heureux d’être associé de plus près, malgré sa petitesse, à la charge de l’Église dans la succession des saints apôtres qu’il aimait tant imiter. « La cérémonie du sacre se fit avec une pompe relativement très grande et au milieu d'une allégresse publique, qui me fut un sûr garant de l'affection que n'ont cessé de me porter les chrétiens de cette mission. Ainsi donc, ô mon Dieu, écrivais-je le soir du même jour, malgré mon indignité, ma misère et mes péchés, me voilà pontife pour l'éternité ! O Marie, priez pour moi, venez à mon aide, pour m'aider à porter le pesant fardeau, qui vient de m'être imposé. Tout s'est bien passé, le peuple paraît content…Plaise à Dieu que la grande cérémonie de ce jour le porte à l'amour de Dieu et l'attache de plus en plus à la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine ! »[11], écrivait-il.
Il était aussi heureux de la participation des chrétiens venus nombreux et de leur générosité malgré leur pauvreté. « Malgré la misère publique causée par la cherté des vivres, les chrétiens s'étaient rendus de toutes les parties du provicariat. Ils eussent encore été plus nombreux, sans doute, s'ils eussent été dans l'aisance ; mais enfin, il y en avait de toutes les chrétientés, et je pus faire connaissance de suite avec une grande partie de mes ouailles. Car, après la cérémonie, ils vinrent tous me voir et m'offrir le "santipou". "Santipou" veut dire visite et aussi présent, car on ne fait point de visite officielle sans apporter quelque chose à celui qui vous reçoit. […] Ces pauvres gens s'étaient éboursillés pour rendre leur présent plus beau. C'était des masses de fruits, du riz, du sucre, beaucoup de feuilles de bétel, des cocos, et quelques pièces d'étoffes. Cela fut offert avec la plus grande solennité, au son des boîtes et des tambours, dans des corbeilles ornées de guirlandes de fleurs »[12]. Et le soir de ce jour de sacre il écrit : « Ainsi fut consommé le 4 octobre 1846, l'acte de ma consécration, avec le titre d'évêque de Pruse in partibus et de provicaire apostolique de Coimbatore, en attendant que cette province fut canoniquement érigée en vicariat apostolique »[13].
Que son dévouement, son don de sa vie et son zèle missionnaire continuent d’inspirer tous les Brésillaciens que nous sommes et qu’il intercède toujours pour nous.
Mahougnon Bernardin KINNOUMÈ
[1] Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, Médiaspaul, Paris, 1987, p. 575.
[2] Ibid., p. 577.
[3] Ibid., pp. 577-579.
[4] « Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile ». 1Co 1, 17
[5] « Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour que tu finisses de tout organiser et que, dans chaque ville, tu établisses des Anciens comme je te l’ai commandé moi-même ». Tt 1, 5
[6] Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom, donne la gloire, pour ton amour et ta vérité. Ps 113B,1
[7] Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, Médiaspaul, Paris, 1987, p. 576.
[8] Cf. Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, Médiaspaul, Paris, 1987, p. 576.
[9] Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, Médiaspaul, Paris, 1987, p. 576.
[10] Ibid., p. 583.
[11] Ibid., pp. 600-601.
[12] Ibid., p. 601.
[13] Ibidem.